à triple AAAble!

l’aaart de…

Pas bien sûr que les histoires de scandale alimentaire soient les plus croustillantes, elles ont tout de même le mérite de nous éclairer sur l’absolu cynisme de nos sociétés. La table étant le baromètre de la société, on voit bien que désormais c’est plutôt ambiance lasagnes congelées bourrées de minerai que vin minéral coupé au garum.

Cette société moderne a réalisé avec succès la production industrielle de yaourt fait-maison, et pour souligner le côté typique de leur produit, elle l’a appelé « yaourt traditionnel ». Une ruée de clients s’est emparée de ce produit dans les plus brefs délais.

L’art subtil et si poétiquement éphémère de la cuisine est passé par la moulinette de l’hygiénisme scientifique, puis par la centrifugeuse de la facilitation industrielle, avant d’atterrir dans la trieuse-calibreuse de la dédramatisation sociale. Tout aussi vite resucée, la mode bio n’est le plus souvent qu’un alibi pour que les distributeurs, après avoir causé marges arrière et expansion de niches, se pourlèchent les babines.

Pas grave pour le goût, vieil attribut sensoriel dépassé par la rapidité des images anosmiques, qui a d’ailleurs toujours suivi l’odorat, antique résurgence d’une perception animale de la réalité, d’un peu trop près. Quand l’humain cherche à échapper à sa condition naturelle, bref quand il veut fuir son animalité, il finit toujours par devenir inhumain, que ce soit par froideur logique ou par efficience commerciale. Le couple gâteux bouche-nez passera donc à la trappe puisque c’est bouche bée que les conso-mateurs doivent admirer les beaux produits créés pour satisfaire toutes les envies du prod-acteur.

C’est donc bien évidemment aisé de boucler le circuit en inondant les foyers d’appareils photo-vidéo. Devenons prod-acteurs! Incarnons le pot de yaourt qui siéra à notre style! Hypothèse de travail de la marchandise dématérialisée: quand c’est gratuit, c’est toi le produit… Et on peut y voir la réussite d’une soixante-huitaine d’années de pillonnage mercatique. En somme, on nous met en demeure de vivre dans la transparence de nos choix de consommation, de nos goûts personnels.

« Espionnez-moi! Je n’ai rien à cacher à la NSA puisque je suis en parfaite adéquation avec les injonctions du jour… » La servitude volontaire a de beaux jours devant elle, cependant les adeptes de l’auto-référencement gagneraient à comprendre cette allusion:

Où sont tous mes amants
Tous ceux qui m´aimaient tant
Jadis quand j´étais belle?

Fréhel (1935)

…se la mettre à taaable